Journées du Patrimoine 2020

Liburnia

C’est là que je respire et ce dès l’entrée. Large et haute, en montant les escaliers, je ressens les frissons de la découverte.

Dans la salle, je cherche mon fauteuil, m’assois et contemple les lustres. Je regarde le rideau, parfois ouvert, parfois fermé, puis le noir se fait et le spectacle commence.

En sortant, je m’arrêterai dans le hall afin de partager, autour d’un verre, les impressions de la soirée. Je quitterai le théâtre en consumant une dernière cigarette sur le parvis coloré.

Le monde à ma portée

L’émotion sans la pression

Ouverture vers la création

Le ticket déchiré

Je peux entrer

La salle offre une certaine intimité

Un cocon agréable aux yeux avisés

Tout de suite, j’imagine ces années

A voir et entendre les artistes répéter, jouer

Se faire applaudir et acclamer

Le théâtre est là, il sait tout

Il absorbe tout

Ses sièges rouges ont tout enregistré

Leur avis ils vont garder

Par-delà les années

Par-delà les succès

Plus ou moins réussis

Parfois, il y a des « bides » aussi

Et à la sortie, on ne s’attarde pas trop

Un peu quand même, on reste poli

Ce n’est pas l’envie qui nous manque

De demander s’ils ne sont pas un peu branques ?

Plus souvent

C’est bouleversant, émouvant

On sort transporté

Parfois en questionnement

Le hall accueille tout ce petit monde

Le hall écoute et se vide comme une bonde

Semblable à un ventre qui se nourrit

Uniquement de nourritures de l’esprit

Lycée Max Linder

Lundi 31 Août, la date est fatidique. Elle sonne le début et la fin. La rentrée : à mon âge je prépare encore mon cartable.

L’entrée : rue du Haras par le portillon en fer et déjà les bonjours. Mais cette année comment reconnaître les miens derrière le masque qui sûrement cachera les sourires et les grimaces.

Je traverserai le couloir du Greta, vert éducation nationale, il doit y avoir quelque part une fabrique exclusivement dédiée aux établissements scolaires.

Les pavés s’allumeront au fur et à mesure de ma progression dans le couloir que les œuvres des Arts P. n’égayeront pas encore.

Le lycée sera vide d’élèves, la cour encore inoccupée ; les grappes d’enseignants, vieux enfants en culottes courtes, diront les matières et les affinités.

Un regard vers le bâtiment E, façade en bois et courbe douce. Passage obligé par la salle polyvalente, purgatoire avant de rejoindre notre salle des profs, le musée des horreurs et la machine à café.

Le lieu ne change pas, moi oui. Aujourd’hui mes pas me mènent sans que j’ai besoin d’y penser. Tout à l’heure j’ouvrirai l’armoire, je poserai sur le bureau les boules à neige et le porte stylo Las Vegas. La girafe rejoindra son siège sur le haut-parleur.

Ça y est la scène est prête, les comédiens ont passé leur costume : on n’attend plus que les spectateurs.

Monstrueusement grand : Voilà ma première impression quand je suis rentré pour la première fois dans ce lycée au début des années 70. A cette époque il était encore anonyme mais déjà tellement impressionnant pour un enfant d’une dizaine d’années qui venait attendre son frère ainé.

C’était un autre monde, les contrôles à l’entrée étaient peu efficaces, j’en profitais pour découvrir le monde des grands.

Une épaisse fumée blanche de cigarettes envahissait les larges couloirs du rez-de-chaussée.

Toutes les heures la coursive était saturée par un flot assourdissant d’élèves, la marée ne durait pourtant pas plus de 10 minutes mais pouvait vous emporter bien loin de votre destination initiale.

Bizarrement des tables de ping-pong étaient venues s’échouer là et servaient bien involontairement de brise lames.

 

Elles ne se nommaient pas encore « Fake news » mais de nombreuses rumeurs circulaient sur la vie du lycée. Je m’en rappelle encore cinquante ans après :

« Ce sont les fils du proviseur qui vendent de la drogue au lycée ».

Pour moi c’était extraordinaire, inconcevable et surtout sulfureux. L’autorité suprême bafouée par ses propres fils.

Heureusement pour tout le monde les réseaux sociaux n’existaient pas encore et la drogue a continué à faire fantasmer parents et élèves.

 

Il est devenu « monstrueusement ennuyeux » :

Ce lycée était devenu « mon » lycée. Mais ma seule ambition d’alors était de le quitter le plus rapidement possible. J’avais 18 ans et voulait découvrir autre chose, c’est certain l’herbe devait être plus verte dehors.

Je le reconnais, je n’ai pas eu la moindre émotion en quittant ce paquebot.

 

Il est aujourd’hui pour moi « monstrueusement nostalgique » :

J’ai la chance d’avoir pu revenir au Lycée Max Linder pour pouvoir transmettre de toutes petites choses aux lycéens d’aujourd’hui.

Bien entendu je ne reconnais plus mon lycée, il s’est encore étendu, il est devenu toujours plus imposant et la fumée des cigarettes s’est envolée avec les tables de ping-pong.

Mais une seule chose n’a pas changé : toutes les heures, aux intercours, une marée humaine se croise, discute et refait le monde dans les couloirs.

 

Les équipages changent, les passagers se renouvellent, tous restent nostalgiques du temps passé entre ses murs et le paquebot Max Linder garde son cap et continue sa route.

J’ai un truc avec les fantômes. Fantômes des élèves qui se sont assis dans mes classes, des collègues croisés dans la salle des profs. Chacun de nous laisse sa trace partout où il passe, poudre de couleur irisée qui prend la forme d’une attitude. J’ai un truc avec les fantômes, ils m’accompagnent dès que je mets le pied dans le bâtiment E. Etrangement, ils le rendent plus vivant que les vivants eux-mêmes. J’ouvre la porte au petit matin et je devine, au mouvement furtif que mon œil perçoit pourtant, le couple enlacé que forment Kevin et Marine au fond, derrière l’escalier, devenu le coin des amoureux. Le long du couloir du premier étage, mes BTS sont affalés devant les salles. Envie de shooter dans leurs jambes allongées formant des obstacles à mon passage. Je m’agace d’avoir à les faire se lever. Je vois bien que Laurie fait la tête et, pour éviter de susciter une réflexion acerbe, tourne son regard vers la cour. Dans la minuscule salle des profs où je m’arrête avant de rejoindre ma salle de cours, ça sent le café. La lumière est allumée du matin au soir parce que les grilles camouflant les fenêtres créent une obscurité permanente. Les fantômes des collègues partis dessinent des lignes bleues devant mes yeux. Malgré les grilles, nul n’est en prison, il n’y a que des âmes qui flottent.

Ecole Maternelle Jean-Jacques Rousseau

L’impatience du premier jour avant de passer la grille. Dans quelle classe et avec quelle maîtresse ?

Votre main dans la mienne et mon cœur qui bat plus vite que le vôtre peut-être.

L’école ressemble à celle où j’allais à votre âge. La pierre me rassure et les arbres de la cour font écho à ceux que je regardais enfant. Les bureaux et les chaises à votre taille ont été à la mienne et me semblent, mais oui, si petits. Rituel des chaussons et du doudou qu’on va laisser dans le cartable.

Je m’en vais, vous laissant dans ce lieu étranger où vous allez grandir.

Quatre marches, quatre marches si hautes et si étroites même pour des petits pieds d’écoliers de maternelle déjà suffisamment inquiets à l’idée de démarrer cette importante étape de la vie.

L’école maternelle Jean Jacques Rousseau, j’y ai commencée en 1981 ce qui sera « ma carrière d’enseignante ».

Quatre, c’est aussi le nombre de classes, surchargées à craquer, les élèves qui restaient à la cantine, ceux qui faisaient la sieste, ceux de la garderie et les collègues diversement accueillantes…

Je me souviens de ce mouvement perpétuel d’enfants depuis le rez de chaussée vers l’étage.

La « nouvelle » maîtresse nommée avaient systématiquement la petite classe, au premier étage, tout au fond à côté du sombre réduit dans lequel était stocké une multitude d’objets et de matériaux « qui serviront sûrement un jour ».

Les filles et les garçons se tenaient à la rampe pour descendre en récréation, pour remonter en cours, surtout ne pas se donner la main, la chute était fréquente.

Je me souviens qu’en ce temps là, il y avait école le samedi.

Aujourd’hui, je participe à l’inauguration de cette école pour découvrir sa rénovation complète, un des 110 engagements de l’équipe municipale en place réalisé.

Cinq marches et non quatre comme dans mon souvenir, permettent l’accès au sas d’entrée qui distribue les pièces de ce que le libournais mais également l’institution à l’habitude d’appeler « Ecole Maternelle du Centre » :

A gauche, un couloir mène toujours à la cantine et sur le côté, une classe, autrefois « la classe de la directrice, la classe des grands ». Est-ce toujours le cas ?

A droite, dans ce qui était la garderie /salle de motricité une pièce très lumineuse disponible pour bien des regroupements.

Je ne peux m’empêcher de tempérer les battements de mon cœur alors que j’emprunte l’escalier autrefois tellement sombre.

Je pose mon regard tout autour de moi alors que mes souvenirs se cherchent dans ces surfaces maintenant si blanches et lumineuses. L’odeur de la peinture flotte encore insidieusement dans chacun des espaces que j’ai peine à relier aux images que je garde de mon premier poste « d’institutrice, » comme on disait alors.

Toutes les pièces sont maintenant opérationnelles, fonctionnelles, adaptables et adaptées, accessibles et sécures: placards, sanitaires, visibilité.

Les effectifs autrefois surchargés avec 30-35 inscrits se sont équilibrés autour de 25.

La cour, elle, reste petite, une spécificité citadine . Elle a perdu une partie de sa grille en fer forgé mais reste encadrée par le monument du souvenir et la résidence des personnes âgées plus ou moins enthousiastes à l’écoute des piaillements qui ne se termineront qu’à la fin des classes.

Des conditions rêvées, et voilà que je laisse arriver à moi cette pensée si contradictoire pour une enseignante : c’était pourtant bien, avant… sûrement parce que j’avais 20 ans…

Il y a un jardin, mais est-ce l’entrée de ce lieu ou son arrière-cour ?

Il y a les arches des portes mais est-ce des portes de sortie ou de secours ?

Il y a un portail donnant sur un parking.

Il y a des fenêtres longues et rectangulaires sur un bâtiment neuf et carré.

Il y a des fenêtres en arches faisant écho au bâtiment des Récollets.

Il y a une rue portant le nom de l’école.

Ecole Jean Jaures

Une cour d’école carrée, plantée de quatre arbres en son centre, Ces derniers font de l’ombre aux enfants qui jouent autour.

Les classes ont toutes des fenêtres donnant sur cette cour .

Dans un angle, un préau, refuge des enfants par temps de pluies ou de trop forte chaleur, Des bancs en bois permettent de s’y assoir ou de s’y percher.

Les enfants jouent…

Massacre à la tronçonneuse.

L’un des 4 arbres de la cour était malade a-t-on dit. Il devait avoir une très grave maladie pour que l’on prenne la décision de tous les sacrifier.

Je ne reconnais plus la cour, ce n’est plus qu’une dalle de béton où les enfants cherchent l’ombre.

Plusieurs années ont passées depuis le massacre à la tronçonneuse. Les arbres sacrifiés font désormais la place à de charmants arbrisseaux qui ne demandent qu’à pousser.

Pourvu qu’aucune maladie ne les surprennent. Les petites branches ont décidées de s’étendre en direction du ciel. Je les regarde, je les vois faire moult efforts pour être chaque jour plus proches du ciel. Elles semblent s’étirer et appeler les oiseaux afin qu’ils nichent à l’abri de leurs feuilles et décident de chanter, chanter à grands cris.

La cour carrée est cernée par les grilles et les bâtiments de pierre. Les arbres sont plantés, droits et dominent l’espace. L’escalier à droite mène à l’étage où se trouve la classe de Nicole.

C’est comme cela que je me souvenais de cette école.

Aujourd’hui le soleil rentre par les vitres de la galerie qui court le long des bâtiments. Verre et métal ont fait leur apparition et aussi le bois qui ponctue les espaces. Le jaune et le rouge ont remplacé les couleurs anciennes.

Du neuf avec du vieux, des souvenirs qui se superposent.

Comme à chaque fois, elle fixe le haut du bâtiment et se perd dans la double perspective devant – derrière que lui offre le jeu des vitres fumées. Récupérer Léo le mardi soir, quand ses cours se terminent avant la journée de son petit frère, c’est son moment secret, elle ne se fait jamais prier, elle qui rechigne si souvent à faire ce que l’on attend d’elle. « Une ado », soupire sa mère. Et l’on ne devine pas, dans ce souffle léger, s’il s’agit d’exaspération ou de résignation. A moins que cela traduise la complicité douce d’une maman dotée de mémoire.

La mémoire, justement, Lili l’estime mise à mal depuis la réfection de « son » école du Centre. Devenue école Jean-Jaurès pour le tout petit Léo, cette école multicolore tout en jeux de dupe n’a plus grand-chose à voir avec les murs et les couloirs qui ont abrité son enfance. C’est le royaume des nains, prétend-elle, vaguement jalouse. Il exsude la protection et la bienveillance. Il en a de la chance, Léo ! Pour sa part, Lili ressent comme un grand creux dans ses souvenirs, comme si on avait soufflé dessus pour les faire disparaitre.

« Il faut vivre avec son temps », prétend sa grand-mère. Encore une phrase convenue, typique du monde des adultes et de leurs renoncements.

La sonnerie retentit. Le regard toujours accroché aux toits reflétés dans les vitres de la coursive, Lili se demande où l’architecte a pris cette idée si jolie, qu’elle aime tant : l’a-t-il reçue de l’école, parmi d’autres techniques ? S’est-il inspiré de la réalisation d’un autre ? Ou encore le génie s’est glissé en lui au petit matin quand, encore lourd des brumes de la nuit, il a pris conscience que son miroir lui renvoyait plus que son image ?

Foutu archi. Archiduc. Archidiacre. Archiduchesse aux chaussettes archi sèches. Lili vient de comprendre la magie du métier : conserver le passé, s’inscrire dans le présent, annoncer l’avenir…

«- Lili ! Lili ! Tu sais ce que je ferai quand je serai grand ? Je ferai astronaute ! Pour aller dans les étoiles ! Et toi, Lili, tu feras quoi ? Maicresse ?

– On dit « maitresse », avec un T comme dans tarte tatin. Non. Moi, Léo, je serai archi-détecte. »